• Un cours de philo avec Barbie, cela vous dit ?

    "Barbie m'a fait aujourd'hui un cours sur la théorie du Gender", Clémence Chastan.

    « C’est la faute à Barbie » m’ont dit les sociologues ! Et pour cause, la "blondasse" anorexique à la transcendantale paire de seins incarnerait, artificieuse et facétieuse, une féminité réduite à l’état de joujou pour Monsieur. Ne manquait plus que l’invention de sa version gonflable pour que soit révélé, avec force subtilité il faut dire, son statut de « sex toy » en puissance. Alors le bal des critiques est ouvert : « perchée sur ses talons hauts qui devraient lui interdire certaines activités quotidiennes, Barbie s'affiche conforme à l'image américaine d'une féminité oisive, investie d'une mission sociale: valoriser l'homme qui s'est fait une place dans la société » lance Marie-Françoise Hanquez.  En clair, Barbie imposerait aux femmes un rôle – oh le méchant mot ! -, que dis-je, un stéréotype – oh le très méchant mot ! -, et même, une norme –oh le *** méchant mot ! -, consacrant, dans le cadre d’une différenciation sexuelle née du sein des seins d’un autoritarisme patriarcal sans soutien-gorge, une féminité rigide, à la sexualité non frigide, spécialisée dans l’art du frigidaire. Bigre, j’en ai la chaire de poule…

                    Mais, - il y a toujours un « mais » -, si la diversité des théories du genre trouve à s’unifier autour d’une thèse commune, celle selon laquelle l’expression de la différence sexuelle, irréductible à un ancrage biologique plus ou moins discuté, participe d’une solidification des rôles sociaux cantonnant la femme à une position périphérique et inférieure dans l’espace social, il est en fait assez douteux que Barbie puisse faire office de bouc-émissaire efficace.. La jolie poupée, passant maintenant toute la journée à faire « non, non, non » grâce à ce superbe gain en flexibilité que permit l’optimisation des articulations, impose de moins en moins. C’est presque même tout le contraire : occidentale, puis africaine, enfin asiatique, blonde, ou brune, ou bien rousse, vétérinaire, soldat puis journaliste, "la marionnette" s’accessoirise hyperboliquement, donnant l’occasion à n’importe quelle fillette d’en faire usage comme d’une page blanche, bref, l’urgence de s’inventer. Bon, inutile d’en faire trop, car l’on voit bien que cette évolution du joujou ne va pas de l’imposition tyrannique d’une norme féminine à l’exhortation à s’inventer soi-même en toute liberté, mais plutôt qu’elle incarne le succès du libéralisme à l’échelle de l’individu. Enfin, il n’empêche que si Barbie est une prison pour femmes, alors il faut bien avouer que cette prison est aussi sécurisée qu’un moulin…

                    En revanche, si l’on jette un œil à des théories du genre un peu plus originales, alors, là, Barbie a quelques vraies leçons de « gender studies » à nous enseigner. Car, vous m’excuserez, je suis directe, Barbie n’a pas de vagin. Que faire de ce constat un peu cru ? D’abord, si l’on en croit l’analyse freudienne selon laquelle le développement de la sexualité des fillettes se fait normativement au profit de la norme hétérosexuelle, à savoir que le vagin répond naturellement au pénis comme le confortable capuchon à son désiré stylo, l’absence de cet espace d’accueil pour phallus chez Barbie en ferait une véritable héroïne lesbienne anti-freudienne, le symbole d’une sexualité clitoridienne rugissant fièrement. Ensuite, la possibilité même de penser un symbole féminin sans vagin participe de la remise en question de la survalorisation de l’organe sexuelle pour déterminer l’identité d’une personne. Pourquoi, finalement, la spécificité de l’organe reproductif prime-t-il sur la forme de l’oreille, la couleur des yeux ou la taille de l’orifice nasal pour déterminer une identité ?! Tout finalement n’est qu’excroissance, chair, organe jusqu’à ce que nous investissions symboliquement certaines parties.

                    Enfin, plus passionnant des trois, l’absence de cavité vaginale, la surreprésentation des atours féminins érotiques comme la poitrine, le forcé du maquillage tendrait à voir dans Barbie une femme presque trop féminine, parodiquement féminine. Lorsqu’on sait qu’une certaine Judith Butler a écrit un fameux texte titré Trouble du genre, dans lequel elle montre comment les rôles sexués sont en réalité aussi flexibles, souples et troubles que des rôles carnavalesques, alors rien n’empêche de voir dans Barbie rien moins qu’une Drag Queen. Ce qu’une théorie du genre ambitionne dès lors, ce n’est point supprimer l’altérité sexuelle au profit d’une biologie poly-sexuelle, mais dégager, au sein de la compréhension de la différence masculin/féminin telle qu’elle existe aujourd’hui, des failles, des fissures, des troubles qui témoigneraient de ce que, déjà, la frontière est poreuse. Impossible en effet de savoir, réellement, si Barbie est un homme ou une femme, tant et si vrai que, loin d’imposer quelques repères bien stables, la poupée, au final, nous dérange. Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Barbie m’a aujourd’hui fait cours sur la théorie du Gender.

    Illustrations : Marine Chastan. Texte : Clémence Chastan. 


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